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Le second procès de l’assassinat à Castelnau-le-Lez de Bernadette Bissonnet, pharmacienne en retraite, s’ouvrira le 10 janvier 2011 au palais de justice de Montpellier. Sa première édition a en effet été interrompue par la révélation du faux témoignage que, depuis sa cellule, l’époux de la victime, avait préparé (voir ci après "le faux témoignage").
Lorsque, le vendredi 1er octobre à 17 heures, le président Joël Mocaer annonce qu’il met fin aux débats la confusion dans le prétoire est générale. La salle où il ne restait plus une place de libre se vide lentement au milieu des éclats de voix, des conciliabules et des rumeurs. Dans ce brouhaha, Jean-Michel Bissonnet proteste contre la perquisition de sa cellule que le président vient d’ordonner :
« Vous allez saisir les lettres échangées avec mes avocats !», s’indigne-t-il pendant que les gendarmes le font sortir. Surprenant souci procédural pour un homme accusé d’avoir commandité le meurtre de son épouse et dont l’avocat général vient de se demander à haute voix s’il jouit de toute sa raison. Une question que le comportement de Jean-Michel Bissonnet pendant l’enquête et devant la cour d’assises conduit tout naturellement à se poser.
Après avoir découvert, le 11 mars 2008 à 22 heures, le corps de son épouse dans le hall de leur confortable villa, l’homme d’affaires qui sort d’une réunion du Rotary club, téléphone aux gendarmes et essuie certaines traces de sang. Interrogé sur ce qui s’apparente à une destruction d’indices, il explique qu’il n’a pas voulu marcher dans le sang de la victime.
Incapable pendant les débats publics de répondre clairement à une question simple, le mari de Bernadette n’a pas été beaucoup plus direct pendant ses interrogatoires. Il mettra, par exemple deux jours avant de fournir aux gendarmes le numéro de téléphone portable de Méziane Belkacem, son homme à tout faire, qui est venu laver les vitres dans la journée. Entendu le 14 mars, l’employé qui s’est blessé au doigt en tirant sur Bernadette Bissonnet, avoue très vite. Mais il ajoute avoir agit à l’instigation de deux hommes dont l’un est son patron qui lui aurait promis de l’argent en échange. Le deuxième homme est rapidement identifié. Il s’agit d’Amaury d’Harcourt, 83 ans, qui reconnaît avoir été au courant du projet d’assassinat et y avoir même contribué en jetant l’arme du crime dans le Lez pour rendre service à son ami Jean-Michel. Mis en cause par deux acteurs du crime, Jean-Michel Bissonnet nie en être le troisième.
A l’ouverture du procès, le 27 septembre, il n’a toujours contre lui que les déclarations de ses co accusés et des présomptions fortement soulignées par l’accusation. Pourtant, ses pires adversaires ne seront ni les tirades de l’avocat général ni celles des conseils du frère et de la belle-sœur de la victime, mais les siennes et surtout la façon dont il les prononce.
Tour à tour, en l’espace de quelques minutes, il affiche l’accablement, l’arrogance, l’indifférence ou la colère. A aucun moment la victime de la machine policière et judiciaire qu’il affirme être ne laisse entrevoir sa réelle personnalité. Pourtant, avant de passer à l’examen des faits, le programme de la première semaine de procès était d’éclairer la personnalité des trois accusés.
Celle de Méziane Belkacem n’a guère été l’objet que de débats entre experts psychologues et psychiatres qui n’avaient pas tout à fait la même appréhension de certains termes techniques. Au-delà de ces querelles de chapelles, il ressortait des déclarations de l’accusé, comme de celles des témoins, que cet homme de 51 ans ne présentait guère le profil d’un tueur à gages professionnel. Né pendant la guerre d’Algérie, séparé très tôt de ses parents, il n’a bénéficié d’aucune éducation et est allé de petits boulots en petit boulots, tout en se mariant deux fois et en ayant cinq enfants. Lorsqu’il travaille occasionnellement comme homme à tout faire chez Jean-Michel Bissonnet, il croit avoir enfin trouvé le bon patron. Né lui aussi en Algérie, l’homme d’affaires en pré-retraite lui offre du café, lui parle comme à un être humain et le charge de laver les nombreuses baies vitrées de sa maison ou de désherber son jardin.
En prison, Méziane Belkacem commence aujourd’hui à apprendre à lire et écrire. Il limite ses ambitions à savoir écrire un chèque ou une demande d’emploi le jour de sa sortie :
« Je sais que c’est pas demain », ajoute-t-il. Il reconnaît avoir tiré sur sa gentille patronne et regrette : « C’est pas facile de faire une chose pareille à quelqu’un qui vous a rien fait. Si je pouvais retourner en arrière… ». « Il est peu probable, conclura l’expert psychiatre, qu’il soit capable de partir tout seul commettre un braquage ou tuer quelqu’un. »
Si l’on admet l’assertion de l’expert, il reste à savoir à l’instigation de qui Méziane Belkacem a agit : à celle de son patron comme il l’a affirmé ou à celle d’Amaury d’Harcourt comme le prétend Jean-Michel Bissonnet qui, depuis sa prison, a essayé de fabriquer un faux témoignage pour le démontrer ?
Sans avoir eu le temps de l’exprimer clairement, Jean-Michel Bissonnet et certains de ses témoins ont néanmoins suggéré à la cour et aux jurés le mobile qui aurait poussé Amaury d’Harcourt à utiliser Méziane Belkacem pour faire disparaître Bernadette. A les en croire, elle aurait opposé une fin de non recevoir aux demandes de prêts que présentait au couple le vieux noble désargenté.
En liberté, alors qu’il est accusé de complicité d’assassinat, Amaury d’Harcourt a, selon un expert psychologue, coopéré à l’enquête avec « courtoisie, retenue et maîtrise de soi ». Une attitude qui lui a été inculquée dans le château familial où, de 1925 à 1944, il a aussi appris à sonner du cor, chasser à courre et bien se tenir à table.
Des connaissances qui ne le lui seront guère utiles lorsque, après la Résistance et une période dans les Forces françaises libres, il part à l’aventure en Afrique. Tour à tour chercheur d’or et conducteur de camions au Congo puis producteur de disques à Alger, il enchaîne les professions comme les mariages. Il en contractera trois, avant de rentrer en France. N’ayant pas bénéficié, en tant que cadet, des biens familiaux, il court toujours après les revenus qui lui permettent de maintenir le train de vie mondain auquel il est habitué. C’est ainsi qu’en 2007, il emprunte 15 000 euros à Jean-Michel Bissonnet qu’il connaît depuis près de quarante ans.
Les deux hommes se sont rencontrés en 1970 alors qu’Amaury d’Harcourt montait en Lozère un parc animalier. Depuis, le jeune Jean-Michel, devenu un homme d’affaires fortuné, et le vieux vicomte ont continué à se fréquenter épisodiquement. D’après Jean-Michel Bissonnet, c’est au cours de visites à Castelnau-le-Lez qu’Amaury d’Harcourt aurait circonvenu Méziane Belkacem. Si le laveur de vitres le débarrassait de Bernadette qui faisait obstacle entre son ami Jean-Michel et lui, il l’embaucherait, aurait-il promis, dans la propriété familiale de l’Yonne où il vit.
Faute d’éléments matériels, c’est sur la foi de témoignages et d’expertises psychologiques qu’il a été demandé aux jurés de se forger une intime conviction. Amaury d’Harcourt est-il un vieux gentilhomme un peu sourd, capable de commettre une bêtise pour rendre service à un ami ? Ou est-il au contraire un ancien agent des services secrets, un calculateur vivant comme un « pique assiette » grâce au prestige du nom dont il est l’héritier ?
Les éléments en faveur de cette dernière thèse qui innocenterait Jean-Michel Boissonnet ne manquent pas. Amaury d’Harcourt n’a-t-il pas rendu service à de hautes personnalités ? N’a-t-il pas baroudé en Afrique et en Algérie lors de périodes troublées ? N’a-t-il pas bénéficié de revenus dont l’origine demeure obscure ? Et surtout, ne fait-il pas partie d’une organisation religieuse, l’association Invitation à la Vie, qui organise des prières collectives et apporte un soutien moral et physique à ses membres par des impositions de mains baptisées « harmonisations » ? Les jurés ont vu, au fil des témoignages, se dessiner en parallèle un portrait lisse et un portrait plus obscur d’Amaury d’Harcourt.
Le même cas de figure s’est produit pour Jean-Michel Bissonnet. L’hypothèse d’un dérèglement mental sera examinée avant le prochain procès par les trois experts psychiatres mandatés par le président. D’ores et déjà, cet examen médical a été récusé par l’accusé qui veut être reconnu innocent et surtout pas irresponsable au sens pénal du terme. Mais la façon dont il a revendiqué son innocence l’a entraîné à adopter des attitudes extrêmes, parfois déroutantes ses proches eux-mêmes. « Il faudrait être fou ou con pour avoir fait cela » lâche-t-il par exemple en évoquant le crime. Et Jean-Michel Bissonnet n’accepte d’être ni l’un ni l’autre.
Chez lui, tout doit être parfait. Les comptes de ses entreprises comme sa vie privée. Le tableau qu’il présente de sa vie est sans faille et sans ratage. Le petit pied-noir de condition modeste a grimpé dans l’échelle sociale grâce à ses intuitions commerciales et son travail acharné. Son épouse est la femme de sa vie et elle est extraordinaire. Son foyer est un modèle du genre. La maison qu’il a acquise à Castelnau-le-Lez ne peut être qu’un paradis. Il ne se reconnaît qu’un seul défaut : avoir son franc-parler et se mettre en colère lorsqu’il est confronté à une injustice ou un comportement inacceptable.
Au Rotary club de Montpellier dont il est un responsable éminent, il a insulté ceux qui rechignaient à payer leurs cotisations. C’est d’ailleurs au golf ou au Rotary qu’il a rencontré ses meilleurs amis. Des notables, tout comme lui. A une exception près, le vicomte Amaury d’Harcourt, l’homme qui a fait tuer sa femme et l’a accusé d’avoir organisé « l’horrible assassinat ». L’homme sur les mensonges duquel il confie qu’il y aurait à écrire « un livre plus gros que Guerre et paix ».
Jean-Michel Bissonnet croit tellement à la culpabilité du vicomte qu’il s’est employé à en convaincre la cour et les jurés en forgeant en prison le témoignage décisif qui manquait au dossier. Et il l’a préparé avec la même précision maniaque que celle qu’il a revendiqué dans la conduite de ses affaires et de sa vie privée.