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Dès les premières heures d’audience, l’affaire Bissonnet s’est transformée, au moins provisoirement, en affaire d’Harcourt. Du nom de celui des trois coaccusés qui semble détenir certaines des clefs du mystère qui entoure l’assassinat, le 11 mars 2008 de Bernadette Bissonnet à Castelnau-Le-Lez.
Si l’on s’en tient aux termes de l’ordonnance des juges d’instruction qui ont renvoyé devant la cour d’assises de l’Hérault Jean-Michel Bissonnet, Méziane Belkacem et Amaury d’Harcourt, le dossier est simple. Le premier veut se débarrasser de son épouse. Il demande au second, son jardinier, de se charger de la besogne en simulant un cambriolage.
Le troisième montre au jardinier le fonctionnement de l’arme du crime et la jette dans le Lez après le meurtre. Les jurés ont donc à juger un commanditaire, un exécutant et un complice. C’est en vertu de cette distribution des rôles que les trois hommes comparaissent devant eux depuis lundi après-midi. Un scénario qui tiendrait parfaitement la route si tous les acteurs occupaient la place que l’accusation leur a attribué.
Le premier problème est posé par Jean-Michel Bissonnet. Loin d’avouer avoir commandité le meurtre de son épouse en échange de 30 000 euros, il nie et, dès l’ouverture des débats réclame sa mise en liberté. Ses avocats soulignent la différence entre la situation de leur client et celle d’Amaury d’Harcourt qui, bien qu’accusé de complicité d’assassinat, comparaît libre :
« L’un est ici, entre deux gendarmes, avec l’apparat d’un coupable. L’autre a été convoqué par lettre recommandée et bénéficie du privilège, je choisis le mot, d’un simple contrôle judiciaire. »
Jean-Michel Bissonet se lève et demande à pouvoir quitter sa cellule le temps du procès pour retrouver chaque soir ses enfants et son beau-père qui croient en son innocence. Le président Joël Mocaer et ses deux assesseurs délibèrent et estiment que, étant donné « l’extrême gravité des faits » la libération de l’accusé réactiverait le trouble à l’ordre public provoqué par l’assassinat.
Jean-Michel Bissonet, abattu, ne réagit pas au rejet de sa dix neuvième demande de mise en liberté. Il devient un personnage secondaire et, comme Méziane Belkacem, assiste en silence, dans le box des accusés à la suite des débats.
En effet, c’est Amaury d’Harcourt, 85 ans, qui va tenir la vedette. Il quitte le fauteuil qui lui est réservé et se présente à la barre. Courtois et précis, il reconnaît les faits qui lui sont reprochés et se lance dans un long récit de sa vie. D’une voix distincte et pratiquement sans trous de mémoire, il remonte jusqu’à sa naissance en 1925 puis raconte son enfance dans le château familial de l’Yonne. Une enfance qui dégage un parfum désuet : des nourrices anglaises, des précepteurs, des leçons d’équitation et des chasses à courre.
« On vivait dans une atmosphère médiévale où l’argent n’existait pas et où, le dimanche, tout le monde assistait à la messe célébrée dans la chapelle familiale. » La guerre interrompt cette vie seigneuriale et Amaury devient Résistant puis militaire dans les Forces françaises libres. Démobilisé après une grave blessure, il part chercher l’aventure en Afrique. Chauffeur de camion, chercheur d’or, fabricant de briques d’argile puis fondateur d’une maison de disques, il se retrouve sans un sou après l’indépendance de l’Algérie. Il s’est marié, a eu une fille et est divorcé lorsqu’il s’installe en Lozère où il monte un parc animalier près de Marvejols.
Au fil des ans, cet homme qui « aime et respecte les femmes » contractera un second mariage puis un troisième. Tous terminés par des divorces qui ne l’empêchent pas de toujours entretenir des relations amicales avec ses anciennes épouses.
« Un homme généreux, gentil bien qu’irresponsable et inconscient des conséquences de ses actes » résumera à la barre l’enquêtrice chargée de sonder sa personnalité. Bref, un personnage plutôt sympathique qui n’a commis qu’une erreur : avoir voulu rendre service à son ami Jean-Michel Bissonnet rencontré lors des parties de chasse dont ils sont tous les deux friands. Et encore, en jetant l’arme du crime, il n’avait pas vraiment compris qu’elle venait d’être utilisée pour commettre un meurtre. Comme le jardinier illettré, le vieux gentilhomme porteur d’un des noms les plus anciens de la noblesse française, a donc été victime de l’homme d’affaires de Castelnau qui était devenu « le fils qu’il n’avait pas eu ».
C’est cette version qu’Amaury d’Harcourt, éploré et tremblant, va confier en juillet 2008 à l’enquêtrice de personnalité qui a fait appel, pour le conduire sur la voie des aveux, à « son sens de l’honneur et au repos de l’âme errante de la victime ».
Tout serait parfait si les gendarmes, dès qu’ils ont soupçonné l’accusé d’en savoir plus qu’il ne le leur avait dit, n’avaient placé sur écoutes les téléphones de toute la famille d’Harcourt. Et ce sont ces écoutes, révélées à l’audience par les avocats des parties civiles et de la défense, qui vont donner du vieux monsieur repentant une toute autre vision. Sa famille, et en particulier sa fille Diane, s’est en effet entendue pour construire et peaufiner cette image destinée à provoquer la compassion des jurés.
La faiblesse physique et psychologique d’Amaury, la teneur de ses aveux spontanés et même ce qui devra être déclaré par les uns et les autres lors du procès, tout avait été préparé. Et qui plus est, avec l’assistance de l’enquêtrice de personnalité qui tenait Diane d’Harcourt au courant de l’évolution de son enquête « pour la rassurer ».
Si la révélation de cette manipulation de l’enquête par le « clan d’Harcourt » n’apporte pas d’éléments nouveaux sur les circonstances du meurtre de Bernadette Bissonnet, elle n’en jette pas moins le doute sur la validité du scénario initialement présenté aux jurés. L’existence dans le dossier de plus de quatre cents heures d’enregistrements d’écoutes téléphoniques qui n’ont pas encore été exploitées permet de prévoir des surprises au cours des trois prochaines semaines d’audience.
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